Émilien de Nieuwerkerke (1811–1892), Comte, Sculpteur et Directeur Général des Musées

1re image: Soirée; 2e: par Lehmann (1846); 3e: photo par Richelieu (c.1850); 4e: dessin par Ingres (1856); 5e: caricature de Giraud dessinée au milieu des années 1850.

À l'endroit le plus important du tableau se tient Émilien de Nieuwerkerke——ambitieux, intelligent, et d’une prestance remarquable, surnommé par ses contemporains « le beau Batave ». Il y est représenté accueillant Visconti09 lors de l’une de ses vendredi-soirées, témoignage de son rôle clé dans les cercles artistiques parisiens.

Né à Paris dans une famille d’origine néerlandaise, Émilien était le petit-fils de Willem van Nieuwkerk, fils illégitime de Guillaume IV d’Orange. Son père, Charles71, accéda à l’aristocratie française grâce à son mariage avec Louise-Albertine, fille du marquis de Vassan, petite-fille du duc d’Orléans et cousine de Viel-Castel43. Émilien naquit cinq mois après ces noces.
Guillaume le Taciturne

Lors d’un voyage culturel en Italie dans les années 1830, il décida de devenir sculpteur et se forma sous la tutelle du baron Marochetti. Bien qu’il ne parvînt pas à égaler la perfection technique de maîtres comme Pradier03 (l’un de ses formateurs), ses talents furent reconnus par la critique. Parmi ses œuvres les plus estimées figurait la statue équestre de Guillaume le Taciturne d’Orange, inaugurée à La Haye.
En 1845, lors d’un autre voyage en Italie, il s’éprit de la princesse Mathilde Bonaparte, cousine intellectuelle du futur empereur Louis-Napoléon. Mathilde, qui se sépara de son mari, le prince Demidoff, en 1846, rentra à Paris avec Émilien, marié depuis 1832 à Thécla de Montessuy. Ils vécurent ensemble comme mari et femme jusqu’à leur rupture en août 1869.

Le Caniche, par Paul Hadol (1870)

Reconnaissant ses compétences, Louis-Napoléon le nomma en décembre 1849 Surintendant des Beaux-Arts au Louvre, avant de lui confier, après son coup d’État en 1851, la supervision des arts dans la Maison de l’Empereur, lui octroyant ainsi un contrôle absolu sur les musées parisiens et les collections impériales.

Conscient du pouvoir des réseaux et des alliances, Émilien cultivait ses relations avec conservateurs, artistes et élites parisiennes, convaincu que son rôle dépendait de ces connexions. Pour les renforcer, il institua en avril 1850 des vendredi-soirées hebdomadaires dans son appartement du Louvre.

Dans un cadre fastueux, ses invités exclusivement masculins profitaient de concerts, de conférences et de débats lors d’un after-party dédié aux discussions politiques et culturelles. Grâce à l’activité de Nieuwerkerke et à ses soirées, son influence était telle que Napoléon III déclara un jour : « La cour royale n’est pas aux Tuileries, elle est au Louvre »

Souhaitant immortaliser ces rassemblements, il désigna Eugène Giraud11, professeur d’art de Mathilde, comme caricaturiste attitré et passa commande auprès de François Biard36 pour une peinture grandiose inspirée de Distribution des Récompenses de Heim28. L’œuvre devait refléter la singularité de ses soirées et de leurs prestigieux participants. Cependant, lorsque le tableau fut enfin dévoilé au Salon de 1855—après un an de retard dû à une refonte de la composition—les critiques le jugèrent « médiocre », estimant que l’intérêt principal de l’œuvre résidait davantage dans les figures représentées que dans sa qualité picturale. Le silence de Nieuwerkerke après sa présentation suggère que l’œuvre ne répondit pas à ses attentes.

Après sa destitution à la suite de la guerre franco-prussienne en 1870, il s’exila en Angleterre et vendit sa vaste collection d’art à son ami Sir Richard Wallace, fils du 4ᵉ marquis de Hertford. Aujourd’hui, la Wallace Collection demeure l’une des plus importantes collections d’art privées au monde.

En 1872, il prit sa retraite à la Villa Gattaiola près de Lucques, en Italie, où il vécut aux côtés de deux princesses de la famille Cantacuzène d’Odessa—Maria et sa fille Olga—qu’il connaissait depuis les années 1860 via le salon littéraire de Mathilde. Les rumeurs affirment qu’elles furent successivement ses amantes, et sa muse Olga hérita finalement de son domaine près de Lucques.

Jusqu'en 1929, le tableau est resté à Farnborough, en Angleterre, résidence d'exil de la famille impériale. En 1900, l'historien de l'art et inspecteur Armand Dayot en commanda une gravure pour son ouvrage Le Second Empire. Il fait aujourd'hui partie de la collection permanente du musée impérial du château de Compiègne.

Note: De Nieuwerkerke porte un cravate rouge, bien qu’il n’ait officiellement reçu le grade de Commandeur de la Légion d’Honneur que le 30 décembre 1855. Cette décoration pourrait en réalité être un ordre ottoman Médjidié, qu’il reçut en 1852. Sa coiffure connut également une évolution notable : jusqu’au début des années 1850, il avait une raie à droite (visible sur les images 2 et 3), tandis que toutes les images postérieures montrent une raie à gauche.