Count Horace Salviac de Viel-Castel (1802 -1864), historien, conservateur du Louvre
1re image: Soirée; 2e: engraving par Dennoulin (mid 1850s); 3e: Receuil. Actualités Politiques (1856); 4e: caricature par Eugène Giraud dessiné fin des années 1850 au salon de Nieuwerkerke (et à l'atelier de Viel).
Presque dissimulé derrière la grande table surmontée de la statue de Jupiter foudroyant les Titans, se tient le comte Marc-Roch-Horace de Viel-Castel, qui tissait la toile des vendredi-soirées et orchestrait l’organisation du Louvre. Collectionneur, non d’art, mais de données sociales. Les temps n’ont guère changé.
Là où Eugène Giraud11 dessinait des caricatures aquarellées des invités, c’est Horace de Viel-Castel qui savait tout sur tout le monde et consignait ses observations dans ses journaux. Entre le 29 janvier 1851 et le 27 août 1864, il remplit plus de deux mille pages.
Issu d’une famille proche des Bonaparte, Viel-Castel connaissait Louis-Napoléon depuis l’enfance et était un cousin éloigné de la mère de de Nieuwerkerke. Par son intelligence et son ascendance, il aurait pu atteindre les plus hautes sphères du pouvoir, mais son absence d’ambition le conduisit, en 1851, à occuper le poste de secrétaire de la direction générale du Louvre.

Il appréciait la compagnie des artistes, notamment celle de son ami, le poète Alfred de Musset73, et était très proche de son frère Victor45. Dévoué à Napoléon III, il considérait quiconque s’opposait à l’empereur comme un ennemi. Son attachement à la princesse Mathilde était manifeste, partageant plus d’une centaine de dîners en sa présence. Son expertise artistique fut reconnue et il fut admiré, voire décoré, pour ses jugements aux concours des Beaux-Arts.
Protégé de de Nieuwerkerke16, disposant d’un atelier au Louvre, Viel-Castel assista à presque toutes les vendredi-soirées, en prenant la présidence en l’absence de de Nieuwerkerke.
Au fil des soirées et des après-fêtes confidentielles dans son atelier, où l’on fumait en sirotant du thé, il devint détenteur de nombreux secrets personnels, qu’il transcrivit dans ses livres noirs.
Ces Mémoires (publié en 1883), oscillant entre humour, sarcasme et commentaires parfois licencieux, conservent toutefois une profondeur intellectuelle. À ce titre, son journal surpasse largement celui des frères Goncourt, davantage tourné vers le scandale. Grâce à ses écrits, nous avons aujourd’hui une perspective directe sur les personnages, les interactions sociales et les liaisons intimes des protagonistes du Une Soirée au Louvre.
Avec de Nieuwerkerke il fut sans doute le seul à connaître chaque personne représentée, leurs affaires et leurs maîtresses. Si seulement il avait pris une demi-heure en 1855 pour noter leurs noms…
En 1862, la santé de Viel-Castel se détériora (causée par une maladie d'estomac). Ses journaux reflétèrent un pessimisme grandissant.
Le 11 mars 1863, dans le nouveau journal La France, il critiqua ouvertement le système de sélection artistique conservateur des expositions annuelles et proposa des réformes. Bien que d'autres trouvèrent son article plutôt modéré, « tenant moins du caractère d'une critique que d'observations respectueusement soumises au ministre compétent », de Nieuwerkerke le congédia dès le lendemain et nomma Barbet de Jouy à sa place comme conservateur du Musée des Souverains.
La presse parisienne écrit : « Le plus grand plaisir de M. de Viel-Castel est de mordre la main qu'il vient de lécher. »
Les publications de Viel-Castel, combinées aux protestations des artistes, poussèrent l’empereur à instaurer le désormais célèbre Salon des Refusés en 1863. En novembre de la même année, les activités conjointes (renforcées par l'empereur) de Nieuwerkerke, Mérimée54 et Viollet-le-Duc40a aboutissent à une réorganisation de la structure traditionnelle de l'Académie des Beaux-Arts.
Privé des plaisirs de la vie mondaine et des dîners avec la princesse Mathilde, il se concentra alors sur ses écrits concernant l’avenir politique de la République française. Bon nombre de ses prévisions s’avérèrent justes, validées par l’Histoire.
Son dernier journal fut rédigé cinq semaines avant son décès.
Sous sa caricature, Eugène Giraud a inscrit : « Voilà pourquoi je suis comme ça. »